mardi 8 juillet 2008

Gouvernance des universités, selon la droite néolibérale

De retour après de longs mois de silence, imposé par des tâches épuisantes, je reviens avec l'intention d'être plus régulier. Cela me sera plus facile compte tenu du fait que je suis en congé sabbatique...

Le lundi 30 juin de 2008, Le Devoir publiait un long article signé par MM. Yvan Allaire et Jean-Marie Toulouse, respectivement Président du Conseil de l’Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques, et Professeur à HEC-Montréal et président du Groupe de travail sur la gouvernance des universités. Contrairement à ce qu’y annoncent les auteurs d’entrée de jeu, cet article, en réalité, n’a pas pour objet une réflexion critique sur les enjeux de la gouvernance des universités et de l’UQAM en particulier : le dépôt du rapport du vérificateur général du Québec n’est qu’un prétexte.

En réalité, les auteurs, sans se citer, ne font essentiellement que reprendre des éléments déjà contenus dans le rapport de M. Toulouse, intitulé « Rapport de recherche sur la gouvernance des institutions universitaires » (http://www.igopp.ca/fr/Publications/17_Rapport%20de%20recherche%20sur%20la%20gouvernance%20des%20institutions%20universitaires.pdf), et remis à l’Institut présidé par M. Allaire; lequel institut, en passant, est affilié à HEC-Montréal où enseigne le professeur Toulouse. (Une bonne partie du contenu de ce rapport [chapitre 4] s’ensuit d’une enquête par entrevues individuelles dont la méthodologie pose de sérieux problèmes mais je n’en traiterai pas ici.)

Cela étant rappelé à titre de mise en contexte, il est sans doute intéressant de citer un passage éclairant du rapport quant aux visées de l’article paru ce lundi : « Le monde de 2007 n’est pas celui qu’ont connu les membres de la Commission Parent; c’est un monde qui met à rude épreuve l’approche québécoise. Les institutions universitaires n’arrivent plus à boucler leurs budgets et l’État éprouve des difficultés à financer adéquatement les services publics : le domaine de la santé gruge une part importante des fonds publics, l’éducation reçoit également une part importante, ce qui laisse peu de marge de manœuvre pour les autres domaines tels que l’économie, le travail et la main-d’œuvre (ce qui inclut les ressources pour prendre une place dans les marchés mondialisés), le transport, la justice, le bien-être social, les arts et la culture, etc. On voit poindre à l’horizon la nécessité de faire des choix, de prioriser et on ne peut pas penser que les sources actuelles de revenus des institutions universitaires vont échapper à cet examen. » (p. 21)

Cette citation pose un regard connu sur le monde actuel; le prisme au travers duquel ce regard pointe est celui, tout aussi bien connu, du néo-libéralisme. Ces fameux constats sur l’échec des modèles de gestion sociopolitique plus ou moins centralisés est un refrain que tient, tel un coda sans fin, le professeur Toulouse depuis plusieurs années.

L’article, revenons-y, s’inscrit dans cette veine du rapport. Les auteurs de l’article, en effet, y affirment, en citant le rapport du Vérificateur général du Québec : « Certains membres du Conseil de l’UQAM ont fait part de la difficulté à exercer leurs fonctions, allant même jusqu’à dire que, «s’ils avaient voulu s’opposer aux projets de l’UQAM, il leur aurait fallu être prêts à quitter leurs fonctions ». Or, dans son rapport précédemment cité, le professeur Toulouse écrit : « La question des rôles et fonctions du conseil d’administration est apparue très souvent dans les réflexions des personnes que nous avons interrogées. Mentionnons au départ que certaines personnes ont mis l’accent sur le fait que souvent le conseil d’administration se sent dans l’obligation d’approuver ce qui a été préparé par une instance de l’université. Pour décrire leurs réactions, elles disaient que leur rôle ressemblait à du « rubber stamping » et elles s’empressaient d’ajouter ne pas aimer ce rôle ou cette impression. » (pp.23-24)

Or, la question qui se pose n’est pas tant de savoir, dans premier temps, comment pallier à ce genre de situations – ce que et les auteurs de l’article, et celui du rapport Toulouse cependant font sans s’inquiéter – mais bien plutôt de savoir pourquoi de telles situations surviennent. Deuxièmement, il conviendrait sans doute de se demander pourquoi ces gens qui se sentent à ce point coincés et qui sont portés à renier leurs valeurs, en effet ne démissionnent pas des instances où ils siègent… Un conflit moral ressenti individuellement n’est pas généralement un motif à poursuivre une action à la source du conflit.

Si les auteurs se posaient ces questions, les solutions qu’ils proposent à ce qu’ils voient comme un problème (voir la précédente citation de la page 21 du Rapport Toulouse), seraient tout autres. Car les auteurs ne suggèrent qu’une voie : l’augmentation des membres externes du CA des universités, et en particulier de l’UQAM, par rapport aux membres internes. Évidemment, ces membres, comme le disent les auteurs de l’article, seraient choisis en vertu de leur expertise, leur compétence, etc. Or, ces critères de sélection ou de choix des membres des CA sont-ils suffisants à éliminer toute possibilité qu’ils se retrouvent eux aussi dans une situation où ils devraient éventuellement renoncer à leur libre arbitre et laisser la haute direction diriger comme elle l’entend ?

La thèse de MM Allaire et Toulouse est que ces critères suffisent. Car au contraire des administrateurs provenant de l’intérieur des universités qui, affirment-ils, ne peuvent faire autrement que suivre moutonnement leur direction – ce qui reste à démontrer mais ils ne le font pas – les membres de l’extérieur seraient mieux habilités à garder une distance salvatrice et bénéfique à l’institution. La thèse de ces messieurs de l’Institut des HEC est que le modèle de gestion universitaire doit, en vue d’obtenir de meilleurs résultats, copier celui des affaires, qu’ils posent en idéal à cet égard. Ce modèle, toutefois, repose quant à lui sur deux prémisses indémontrables : a) tout membre de conseil provenant de l’extérieur représente le marché et la volonté du marché ; b) un membre provenant de l’extérieur n’est pas lié aux intérêts de la haute direction. La première prémisse n’est autrement formulable qu’à partir de la théorie économique néoclassique de l’information détenue par un acteur économique à l’intérieur d’un marché en équilibre ; la seconde prémisse n’est formulable qu’à partir d’une théorie morale issue de la mouvance utilitariste telle qu’on la retrouve chez Bentham. Or, la première témoigne d’une vue de l’esprit, et la seconde d’un vœu pieux. La preuve en est que les administrateurs qui se plaignent d’en être réduits à la possibilité de démissionner de leur poste, ne le font pas : qui représentent-ils alors et quels intérêts poursuivent-ils ensuite ?

La vie académique et universitaire ne correspond pas, peu ou prou, à ce que connaissent les gens d’affaires de par leur pratique quotidienne. De plus, il est douteux que les gens d’affaires aient en majorité les connaissances nécessaires à une juste appréciation des enjeux de l’enseignement et de la recherche universitaires – sinon que leur facilité à tout traduire en termes de rendements à courte échéance ou encore celle avec laquelle ils évaluent l’opportunité (économique) que représente un tel siège à un conseil d’une institution : en général, ce sont les occasions d’affaires qui comptent, moins les enjeux académiques. Car la pratique des affaires impose la recherche de la rentabilisation des actions. Et le temps d’un administrateur, surtout s’il ne jouit d’aucune rémunération, doit être un jour profitable ; à l’individu, ou à l’entreprise qu’il représente. Les intérêts des administrateurs provenant du monde des affaires sont là : dans l’instrumentalisation de leur responsabilité. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux sont recrutés non pas tant en vertu de l’expertise qu’ils détiennent mais en vertu de leur capacité à soutenir et à contribuer aux campagnes de financement des fondations universitaires. Cela demande des efforts qui devront tôt ou tard être rémunérées. Ainsi va la « logique » du marché : un siège au CA de l’Université a un prix.

Et cela met en place plusieurs conditions qui permettent ensuite de conclure des ententes non prescrites entre administrateurs et la haute direction. C’est d’ailleurs ce qu’a pressenti le Vérificateur général du Québec dans son rapport : comment expliquer autrement que les gens d’affaires qui siégeaient au CA de l’UQAM se soient tus à propos des contrats signés avec les consultants et autres entreprises ayant contracté avec l’UQAM, s’il était évident, malgré la pauvreté de l’information transmise, que ces contrats entraîneraient les difficultés que l’on sait ? Je ne dis pas qu’il y a eu collusion ; je n’en sais rien. Je dis seulement que ce silence et ce laisser faire des administrateurs externes fournissent peut-être des éléments de réflexion qui tendent à démontrer que la solution de MM Allaire et Toulouse en matière de gouvernance universitaire n’est pas applicable en pratique. L’idéologie n’est pas science – pour paraphraser Platon.

1 commentaire:

Daniel Lemire a dit…

Enfin. Je m'ennuyais.

Tu te rappeleras sans doute que je m'inquiétais en 2005 des folles dépenses de l'UQAM surtout que, selon moi, une université ne devrait pas être un country club. C'est pas à la grosseur de ses jardins, de ses fontaines et de ses édifices qu'on doit juger une université. On peut très bien avoir la meilleure université au monde dans peu d'espace entourré de béton un peu ordinaire.

Il faut que les universités réfléchissent à l'utilisation de l'espace. Est-ce qu'on a toujours besoin de caser des groupes de 50 étudiants dans des locaux normalisées selon un horaire normalisé? Bref, est-ce qu'une université est une grande usine dont la production est limité par sa superficie?

Il y a bien sûr l'enseignement en ligne qu'il faut considérer, mais aussi toutes les alternatives. L'hybridage d'abord... puis ensuite les formes d'enseignement alternatives. L'université comme un grand café ouvert où les gens peuvent venir échanger. Il faut repenser les cours, hybrider, s'ouvrir...

L'obsesssion du pied carré, il faut la remettre en question.

Quant à savoir pourquoi ils ne démissionnent pas, ces membres du CA qui ne se font manipulés, c'est une excellente question. On peut certainement comprendre que les membres du CA de l'UQAM qui ont été bernés vont prétendre maintenant qu'ils n'étaient pas d'accord, mais qu'ils étaient soumis à des pressions. Comme tu le fais bien remarquer, ils devraient alors démissionner parce qu'ils sont incapables de faire un travail convenable. Excellent point.

Évidemment, démissionner a un coût. Un coût politique d'abord. Il faut être capable de l'assumer. Mais si on nomme des membres du CA qui n'ont pas la stature nécessaire pour se tenir debout, à quoi bon?

On pourra prétendre que s'ils démissionnent ce ne sera que pour être remplacer par des gens aussi liés qu'eux, mais dans une grande université comme l'UQAM, on a du mal à croire que le recteur puisse contrôler une clique tellement grande qu'il est capable de museler tout le monde.

Faut lire Balzac! Plus le pouvoir officiel est fort, plus le contre-pouvoir est bien établi. Dans toute communauté assez large, il y a toujours des contre-pouvoirs.

Bref, on peut trouver au sein de l'UQAM 15 ou 20 personnes qui ne couchent pas et n'ont pas couché avec le recteur. Même si celui-ci a un très grand lit.

Je te soumet aussi que les CA du monde des affaires sont loin de toujours bien fonctionner. Pensons à Nortel, Enron, et ainsi de suite. Tu sais qui sont membres des CA? Des dirigeants d'entreprises qui eux-mêmes doivent répondre à un CA. Bref, l'indépendance est souvent bien fictive.

Quant au silence du CA concernant les contrats accordés, il y a une autre explication que la collusion qui me semble peu probable (sur une grande échelle). Tous ces contrats furent vérifiés et certifiés par des grandes firmes de consultants. Quand toi, un petit monsieur ordinaire te retrouve devant un dossier complexe, mais qui a été certifié comme étant conforme aux normes par un grand bureau de comptables ou d'avocats... bon, disons que ça met une certaine pression et que tu as tendance à te taire, à moindre d'être vraiment sûr des questions à poser. Je crois que le vrai scandale, il est là: l'UQAM a fait affaire avec des consultants qui ont servi les intérêts du recteur, mais pas ceux de l'UQAM. Ces consultants devraient être poursuivis.